La disparition des CHSCT est une erreur

Par Fabrice AllegoetLe 1 octobre 2017

La disparition des CHSCT est une véritable erreur politique, morale et juridique. La suppression d’un organe de contrôle disposant des moyens d’assurer le respect des droits des salariés en matière d’hygiène et de sécurité au travail est une vraie hérésie ! Reconnu comme une personne morale très appréciée des salariés, ce comité était depuis 1947 dans sa forme la plus ancienne (CHS), le garant en matière de santé au travail.

Question

À qui peut donc profiter la disparition des CHSCT ?

Tout commence par la disparition des CHSCT

La disparition des CHSCT sera entièrement effective à compter du 1er janvier 2020 dans toutes les entreprises en France. Avant cette échéance fatidique, la naissance du comité social et économique sonnera la fin du CHSCT dans les établissements concernés. Certes, les missions centrales en matière d’hygiène et de sécurité au travail semblent être conservées au sein du comité social et économique, mais uniquement en apparence. Dans la nouvelle codification du Code du travail, il n’est plus question par exemple de contribuer à la prévention des conditions de travail ni même d’analyser l’exposition des salariés à des facteurs de pénibilité.

Un recul qui ne fait pas réagir outre mesure !

Par ailleurs, personne ne croit (vraiment) au sein des entreprises de moins de cinquante salariés que les anciens délégués du personnel disposeront tant des moyens que des compétences pour assurer la protection des salariés. Les délégués du personnel actuels sont souvent en difficulté pour porter à la connaissance de l’employeur des réclamations, faute de formation et de soutien en interne. Placer dans leurs mains, la promotion de la santé et de la sécurité des conditions de travail dans l’établissement, c’est peut-être tout autant inconscient qu’inadapté.

De façon plus générale, les membres du comité social et économique (CSE) devront se partager entre les activités sociales et culturelles et les questions d’intégrité physique et mentale des salariés.

Là encore, ne serait-ce pas la démonstration d’un certain amateurisme ? Peut-être s’agit-il d’une folle envie d’en atteindre à l’autonomie et à la compétence du CHSCT ? Les élus du CSE (comme ceux du comité d’entreprise – CE) sont à l’heure actuelle, davantage préoccupés par leurs missions récréatives que par leurs prérogatives économiques et sociales. Qu’adviendra-t-il par exemple des inspections régulières ? La fréquence jadis (et encore pour quelques années) inscrite dans le Code du travail semble avoir disparue (futur article L2312-12). Les membres du CSE prendront-ils suffisamment de temps pour procéder à cette mission essentielle ? J’en doute – à ce jour, les élus peinent déjà à dégager du temps ne serait-ce que pour préparer leurs réunions plénières. Ajouter des missions et des obligations à une équipe déjà asphyxiée par la difficulté à prendre du temps de façon régulière, c’est à la fois inique et insupportable. La disparition des CHSCT laissera place assurément à un grand vide.

Et après la disparition des CHSCT, que va-t-il se passer ?

Qu’on se le dise dès maintenant, la disparition des CHSCT ne présume pas en définitive de la fin au sein de nos entreprises, des risques psychosociaux (RPS), des troubles musculosquelettiques (TMS), des accidents du travail (AT), du harcèlement moral ou sexuel, de la pression au travail, des violences au travail, etc. La différence porte sur le fait que l’employeur sera plus que jamais, maître en sa demeure. Face à lui, des élus de CSE en prise avec leurs difficultés croissantes liées en partie à un manque de formation, d’unité et de concorde ne feront évidemment pas le poids.

De nos jours, les divisions syndicales, l’absence de détermination de nombreux élus et la gravité des tâches conduisent déjà à la détérioration des CHSCT ; l’ordonnance vient juste terminer ce travail de sape.

Pourtant aujourd’hui, la mission essentielle du CHSCT est de concourir spécialement à la protection de la santé physique et mentale des travailleurs (article L4612-1 du Code du travail). Les conditions de travail sont également concentrées au cœur de ces préoccupations. Véritable ingénieur de l’aménagement des postes de travail, le CHSCT peut largement soumettre des propositions visant à réfléchir sur la sécurisation des salariés. Connu pour faire partie des artisans de la qualité de vie au travail, le CHSCT disposait jusqu’alors de la possibilité de nommer des experts en cas de modification importante des conditions de travail sans être inquiété par le niveau des budgets nécessaires. Demain, après le passage en CSE, cette facilité sera amoindrie par l’instauration du cofinancement qui pèsera de manière inégalitaire sur le comité social et économique.

Le comité social et économique sera obligé de mettre la main à la poche à hauteur de 20% de la facture (futur article L2315-75 du Code du travail).

Les entreprises de petite ou de modeste taille, dont l’effectif situé entre 50 et 250 salariés, seront en conséquence, les plus impactées par cette mesure qui nous ramène plus de 70 ans en arrière. Faute de moyens financiers suffisants, les membres du futur CSE renonceront sans conteste à nommer des experts pourtant indispensables dans de nombreux cas. Dans ces conditions, nous ne pouvons que douter de leurs capacités à faire face à la dégradation de l’outil de production. Sans soutien, sans formation et sans rapport de force, que pourront faire les élus face au mastodonte qu’est le pouvoir de direction ?

La disparition des CHSCT nous ramène à l’âge de pierre

Jean Auroux (ancien ministre du travail au sein du gouvernement de Pierre Mauroy à l’ère de François Mitterrand) avait initié une véritable révolution faisant de la sécurité des travailleurs une priorité. Il avait déclaré vouloir combattre le bruit des machines pour faire émerger la prise de parole (et sans doute de conscience) par opposition au silence des hommes. La révolution sociale avait alors placé en plus haute estime, l’homme par rapport au profit. En 2017, la machinerie Macron vient inverser ce qui a coûté tant d’années de lutte ouvrière. Les patrons vont de nouveau se faire l’économie des mesures de prévention indispensables à la lutte contre les accidents du travail. N’est-il pas plus couteux en réalité de faire peser sur les salariés des contraintes telles qu’elles finissent par les tuer à petits feux ? Les maladies professionnelles ne cessent de croitre depuis 2005 (Dares résultats n° 081, décembre 2016). Les TMS représentent près de 90% des maladies liées au monde du travail. Sans surprise, les ouvriers et les femmes sont les cibles malheureusement privilégiées de ces statistiques.

Témoignage

Malgré l’existence des CHSCT depuis 1982, le monde du travail n’a jamais eu autant besoin de grandir en matière de santé au travail.

Et alors que tout avance et que de grandes avancées permettent enfin de conscientiser les nombreux dangers qui frappent les salariés depuis tant d’années, voilà que la loi vient supprimer le CHSCT. En réponse aux prières du MEDEF (il ne peut en être autrement), cette décision politique vient surprendre tout le monde et souligne la cruauté actuelle du monde du travail. Un tournant qui n’avait échappé à personne sauf peut-être aux politiciens de pacotille issus des milieux sociaux les plus aisés. Les entreprises de 300 salariés ne seront pas plus avancées malgré l’instauration d’une nouvelle commission « santé, sécurité et conditions de travail » (SSCT). Si celle-ci fonctionne à l’image de nos commissions actuelles (formation, logement, égalité professionnelle, économique) alors il faut craindre pour la sécurité des salariés. Dépourvues de moyens financiers et matériels, dotés de moyens humains largement insuffisants, en proie à des difficultés de fonctionnement et de présidence, les commissions ne sont plus capables à l’heure actuelle de peser dans le dialogue social.

La commission SSCT n’est qu’une façon de se donner bonne conscience pour justifier de la disparition brutale des CHSCT.

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Comment compenser la disparition des CHSCT ?

Pour sûr, il va falloir prendre le taureau par les cornes ! Les élus du comité social et économique ne pourront compter en majorité que sur les propres compétences ! Il sera primordial de les affûter. Une formation CSE portant sur le fonctionnement du comité social et économique nous paraît non-négociable de même qu’une formation sur les questions de santé, de sécurité et de conditions de travail. Plus que jamais, le recours à une assistance juridique s’inscrit comme une nécessité incontournable ; le budget de fonctionnement permet d’armer en outils et en supports juridiques, tous les membres du CSE (pour peu qu’ils le décident). Disposer des connaissances et du soutien d’experts, c’est le cocktail utile et protecteur pour répondre à la déflagration qui s’est abattue sur le Code du travail.

Avis de l'auteur

La méconnaissance juridique des élus et l’isolement de ces derniers seront à coup sûr, les ingrédients de leurs futurs échecs. Il faut tout faire pour l’éviter !

Auteur de l'article: Fabrice Allegoet

Fabrice ALLEGOET est un formateur confirmé et certifié en droit social qui s'est spécialisé dans différentes matières (santé et sécurité au travail, RSE et développement durable, management et communication en entreprise). Il est l'animateur des Podcasts "Le CSE En Clair" et "Le Droit de Savoir by CÉOS".