Les réclamations des délégués du personnel

Par Fabrice AllegoetLe 12 juin 2016

Combien sont-ils de salariés à comprendre le fonctionnement logique des réclamations des délégués du personnel ? Par « réclamation », on comprend fréquemment, préjudice supposé (au moins au départ) et à l’arrivée, réparation possible (si tout va bien). Les salariés savent-ils toutefois distinguer de ce qui relève ou non des réclamations des délégués du personnel ?

Question pertinente

Les élus eux-mêmes savent-ils continuellement porter à la connaissance de l’employeur l’ensemble de ces réclamations ?

Point sur les réclamations des délégués du personnel

La législation en vigueur précise le rôle que doivent parfaitement assumer les délégués du personnel au sein de l’entreprise (article L2313-1 du code du travail). Pour autant, combien sont-ils encore à ce jour, ces délégués du personnel (DP), à ne pas savoir comment présenter à l’employeur, l’ensemble des réclamations pour lesquelles, ils sont saisis par les salariés de leur établissement ? Les réclamations des délégués du personnel ne sont pas toujours correctement relayées pour peu du reste qu’il s’agisse bien de « réclamations ». La plupart des DP soulèvent des questions dont ils se font l’écho des salariés sans pour autant s’interroger sur le fondement même de leur démarche. En effet, les salariés peuvent saisir les délégués du personnel à tout moment ; encore faut-il que les DP sachent aider les salariés à distinguer de ce qui relève de leurs compétences (prérogatives, missions) de ce qui n’en fait pas partie.

Les délégués du personnel ne sont pas des superhéros, prêts à tout pour défendre des salariés en détresse. Il faut se protéger du syndrome de « superman » !

Toutes les demandes ou questions des salariés ne sont pas toujours compatibles avec la mission centrale des DP. Par ailleurs, l’emploi du verbe « défendre » est inapproprié. Il est en effet utilisé par les défenseurs que sont en général des représentants légaux comme un « avocat ». Défendre répond à deux principes. Le premier est de prendre parti d’un « client », ici, le salarié (demandeur). Le second s’inscrit dans une démarche de défense en vue d’imposer à la partie adverse (défenderesse) de reconnaître la réalité du préjudice et de le dédommager en conséquence. Cela ne s’inscrit absolument pas dans le rôle d’un délégué du personnel.

Le DP est uniquement un porte-parole

Autrement dit, il accompagne les salariés dans la formulation de leurs réclamations afin de les rendre intelligibles auprès de l’employeur. Ce dernier doit en effet comprendre le nœud du problème présenté afin de pouvoir sincèrement y répondre. Aussi, le rôle du DP s’inscrit davantage dans la rédaction d’une problématique que dans une recherche de défense de cette dernière. Pour autant, porter une réclamation n’est pas nécessairement simple. Cela commence par rappeler au salarié qui s’adresse au DP, que sa demande ne peut pas être anonyme. Porter la parole de quelqu’un suppose évidemment que ce tiers soit identifié ou identifiable.

Aussi, l’anonymisation de la réclamation n’est clairement pas recommandée ni indiquée si le salarié souhaite de l’employeur qu’il apporte une solution pragmatique et rationnelle à la difficulté soulevée.

Le délégué du personnel est un aidant technique

Le salarié ne sait pas en permanence quels sont ses droits. Ils ignorent parfois jusqu’aux fondamentaux inscrits dans la loi comme l’égalité de traitement, les principes de non-discrimination, l’obligation d’adaptation au poste de travail… En outre, ils ne sont pas constamment conscients de la portée des règles propres aux entreprises (règlement intérieur, notes de service, consignes verbales). De même, les salariés ne sont pas au fait des obligations posées par leur convention collective. Un certain nombre minimise parfois la portée des dispositions mentionnées dans leur propre contrat de travail.

Les délégués du personnel doivent de facto régulièrement sensibiliser les salariés quant à ces règles qui les environnent, auxquelles sans le savoir parfois (ou le comprendre), ils sont liés. Un salarié peut sans le vouloir commettre une faute disciplinairement sanctionnable. La justice se manifeste souvent dans le manque de justesse des faits, eux-mêmes sont la conséquence d’une certaine méconnaissance.

L’un des rôles des DP est donc de s’assurer que les salariés soient parfaitement informés des règles ayant cours au sein de l’entreprise. Précisons à ce propos, que « nul ne se plaint de ce qu’il méconnaît ».

Comment en effet, un salarié pourrait-il s’interroger sur certaines pratiques si dans le même temps, il est ignorant de ses propres droits ? Un salarié peut réclamer l’application de ses droits dès lors qu’il est lui-même éclairé de ceux-ci. Pour se plaindre, faut-il déjà disposer d’un référentiel des bonnes et des mauvaises pratiques. Le délégué du personnel peut aider les salariés à mieux appréhender leurs droits ainsi que leurs devoirs (l’un va régulièrement de pair avec l’autre).

Porter les réclamations des délégués du personnel

Lors des réunions des DP, les réclamations des délégués du personnel vont être traitées ou à tout le moins, débattues (article L2315-8 du code du travail). Avant cette étape importante, les DP vont les communiquer au fil de l’eau à l’employeur en utilisant les notes écrites. Celles-ci doivent lui parvenir au plus tôt et au plus tard deux jours ouvrables avant la réunion mensuelle (article L2315-12 du code du travail). Ces notes doivent être reportées dans le registre des délégués du personnel (Cass. Crim. 7 octobre 1997, n° 96-82.539). Si ce n’est pas fait correctement, cela peut constituer un fait d’entrave relatif au défaut de tenue dudit registre placé précisons-le sous la responsabilité de l’employeur (Cass. Crim. 15 mai 2007, n° 06-86.896).

Avant la réunion, faut-il donc déjà produire une note écrite. Le DP doit la rédiger en tenant compte des faits dont il a été directement témoin ou pour lesquels, il a été sollicité par les salariés. La première difficulté va consister à ne pas préjuger du bien-fondé de la réclamation des réclamants. Il n’est pas davantage admis que le DP fasse état de ses opinions à la vue de la demande. Il ne peut juger non plus de l’intérêt qu’aurait le salarié à saisir l’employeur de cette question. En somme, peu importe ce qu’en pense le délégué du personnel, ce dernier est simplement tenu à la rédaction la plus formelle de la réclamation. Lors de la réunion, il devra la présenter de façon soutenue, afin de conduire l’employeur à prendre ses responsabilités en vue de solutionner le possible dilemme voire litige pour lequel il est saisi.

Conseil d'Expert

Le délégué du personnel ne doit jamais tenter de résoudre de lui-même la problématique exposée par le salarié. Il n’a pas la compétence d’apporter une réponse technique, juridique, ou d’autorité.

Ce faisant, il peut même sans le désirer causer un tort au demandeur en aggravant sa situation. Les DP ne sont pas des juristes ou des experts et ils ne possèdent pas de pouvoir de direction. Ainsi, leur rôle n’est pas de résoudre le problème, mais de conduire l’employeur, l’autorité naturelle de l’entreprise à le faire. Faut-il pour cela qu’eux-mêmes connaissent a minima les rouages de la loi, des règles ou des pratiques courantes (usages notamment). Il faut être en mesure d’apprécier les réponses de l’employeur afin de s’assurer qu’elles sont en adéquation avec le droit des salariés ou avec les devoirs de l’entreprise à leur égard. Pourtant, malgré toute l’impériosité de cette mission, le code du travail n’a pas prévu une formation obligatoire (ni même facultative) des délégués du personnel dans le but de véritablement appréhender toute la profondeur de leurs obligations et des moyens dont ils disposent. La plupart ignore la portée de leurs rôles et la manière d’assumer cette charge.  

On comprend mieux à la vue de cette incohérence législative pourquoi certains DP assument difficilement leurs prérogatives ; ils sont malheureusement nombreux à méconnaître totalement les concernant, les fondements élémentaires inscrits dans la loi.

Auteur de l'article: Fabrice Allegoet

Fabrice ALLEGOET est un formateur confirmé et certifié en droit social qui s'est spécialisé dans différentes matières (santé et sécurité au travail, RSE et développement durable, management et communication en entreprise). Il est l'animateur des Podcasts "Le CSE En Clair" et "Le Droit de Savoir by CÉOS".