Le vrai visage du délégué syndical

Par Isabelle Vidal-LeonLe 18 juillet 2017

Le délégué syndical n’est pas toujours très bien vu au sein des entreprises. N’ayons pas honte de le dire, les syndicats de salariés n’ont pas toujours bonne presse. De nombreux salariés se détournent des syndicats, craignant d’être stigmatisés et de pâtir de leur mauvaise réputation. D’autres, au contraire, ne peuvent pas s’en passer. Il y a donc en la matière, deux écoles, même s’il faut avouer que la grande majorité des salariés français ne sont affiliés à aucun syndicat. La DARES avait communiqué en 2013 sur 11% des salariés, dont à peine 9% pour ceux issus du secteur privé. Curieusement, le taux de syndicalisation s’affaisse à mesure que la précarisation des salariés augmente. Triste constat opéré par la plupart des observateurs. Comment expliquer ce manque d’adhésion lorsqu’il est dit par ailleurs que 25% des patrons seraient affiliés à une organisation syndicale patronale comme le MEDEF (source non confirmée) ?

Question

Qui peut devenir délégué syndical et quel serait véritablement son rôle au sein de l’entreprise ?

Nous vous dévoilons dans cet article, les dessous d’une mission souvent méconnue tandis qu’elle revêt une importance capitale pour l’avenir des salariés.

Ne devient pas délégué syndical, qui veut !

Depuis 2008, devenir délégué syndical (DS) suppose un lien étroit avec les élections professionnelles des instances du personnel (comité d’entreprise, délégués du personnel). Le DS n’est donc plus investi automatiquement par une fédération comme ce fût le cas jadis. Le syndicat qui entend se réclamer du droit de disposer d’un DS, doit être représentatif. Cela veut dire que l’organisation syndicale devra en passer par les urnes. Le résultat obtenu devra en tout état de cause ne pas être inférieur à 10% des suffrages exprimés au premier tour de l’élection du CE voire de la DUP (article L2122-1 du code du travail).

Jurisprudence

Soulignons que l’audience ainsi mesurée de la représentativité n’est pas remise en cause lorsque survient en cours de mandat, une élection partielle (Cass. Soc. 13 févr. 2013, no 12-18.098).

Le choix du délégué syndical est stratégique

Le salarié aspirant à honorer la fonction de DS doit également justifier de conditions particulières indissociables les unes aux autres. Ainsi, pour être DS, il faut avoir au moins 18 ans, être présent dans l’entreprise depuis au moins 1 an (sauf cas particulier liée à la création de l’entreprise) et n’être frappé d’aucune interdiction en lien avec ses droits civiques (article L2143-1 du code du travail). Ajoutons la nécessité de respecter un principe de priorité. En effet, le salarié devant être nommé pour la fonction de délégué syndical doit être élu (titulaire, suppléant) ; la préférence étant donnée à celui qui sur son nom aura recueilli au moins 10% des suffrages exprimés, quel que soit le nombre de votants (Cass. Soc. 17 avril 2013, n° 12-22.699). Pour terminer, la durée du mandat de DS est intimement liée à la durée du mandat des représentants du personnel. Ainsi, l’issue de leur mandat sonne la fin du mandat de DS (article L2143-11 du code du travail). Cela va de pair, obligeant les syndicats, à chaque élection, à remettre le couvert !

Avant de s’engager pleinement dans sa mission, le nouveau DS peut demander à l’employeur d’être reçu afin de l’entretenir des conditions d’exercice de son mandat.

Une manière de planter le décor et de s’assurer pour l’avenir de n’être le fruit d’aucune discrimination future (article L2141-5 du code du travail).

La mission centrale du délégué syndical

Une fois le droit de se doter d’un DS établi, il convient de s’interroger effectivement sur son rôle au sein de l’entreprise. Pour les employeurs, le délégué syndical devient l’interlocuteur essentiel de toutes les négociations collectives. En outre, les entreprises jouissant d’une section syndicale appartenant à une organisation représentative doivent engager chaque année, une négociation. Appelée de tout temps, la négociation annuelle obligatoire (NAO), celle-ci porte notamment sur la révision des salaires (article L2242-1 du code du travail). Cette obligation disparait en l’absence de DS.

La négociation dépend aussi des circonstances

Dans une plus large mesure, les syndicats sont voués à défendre les intérêts des salariés (et pas uniquement de leurs adhérents). Il est question alors de présenter à l’employeur des revendications parfois sur fond de contestations et de vœux des salariés (article L2131-1 du code du travail).

Conseil d'Expert

Il ne faut pas confondre « revendication » et « réclamation » ; si pour le premier terme, il s’agit bien d’une mission syndicale, pour le second en revanche, il s’agit d’une prérogative, dont sont dotés les délégués du personnel (DP).

Il arrive cependant assez fréquemment que les DP comptent au sein de leur délégation, un ou plusieurs délégués syndicaux. Toutefois, leurs obligations se distinguent selon la nature de la mission à proprement parler.

En fonction du code du travail voire des conventions collectives, il arrive qu’un accord d’entreprise doive être mis en place. Par exemple, le travail de nuit fera l’objet d’une véritable négociation pour que l’employeur sous conditions puisse y recourir (article L3122-21 du code du travail). Pour mener à bien les élections professionnelles, l’employeur doit engager des négociations en vue de signer le protocole d’accord préélectoral. Annuellement, il faudra s’atteler à la négociation sur l’égalité professionnelle et la qualité de vie au travail. Il s’agit là d’une négociation obligatoire fixée par la loi Rebsamen complétée par la loi El Khomri qui ajouta le droit à la déconnexion parmi les thèmes de cette négociation (article L2242-8 du code du travail).

Le délégué syndical dispose de moyens pour travailler

Pour mener les consultations et depuis 2013, les délégués syndicaux disposent d’un accès à la base de données économiques et sociales (BDES). Sont intégrées, les informations règlementaires tels que les accords collectifs de travail et les informations nécessaires à toutes les négociations collectives. Pour honorer sa mission, les délégués syndicaux disposent d’un crédit d’heures de délégation. Il varie selon la taille de l’entreprise. Depuis la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, le niveau du crédit a été rehaussé allant de 12 heures à 24 heures par mois, respectivement pour les entreprises de moins de 150 salariés à au moins 500 salariés (article L2143-13 du code du travail).

Utilité du délégué syndical lors d’un licenciement économique

Tristement connu pour être un acteur majeur du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), il est vrai que légalement, le délégué syndical peut négocier un accord permettant d’encadrer tant le contenu du projet de licenciement économique collectif que les conditions de consultation du comité d’entreprise. Il s’agit dans le cas présent, d’un accord majoritaire (article L1233-24-1 du code du travail).

Les salariés apprécient-ils leurs délégués syndicaux ?

En mai 2017, à peine 35% des salariés déclaraient avoir une bonne image des syndicats (sondage BVA de mai 2017). La plupart des salariés jugent très sévèrement les syndicats. Laissons de côté les statistiques, car tout est aussi affaire de contexte. Dans bien des entreprises, les salariés livrés à eux-mêmes peinent à être représentés lorsqu’aucun syndicat n’est implanté. En effet, sans cadre clair et sans détenir un réel rapport de force, il est difficile de défendre ses revendications auprès de l’employeur. Un syndicat offre une tribune et des moyens déterminants pour engager de véritables négociations avec ce dernier.

Et demain, l’avenir se fera-t-il sans syndicat ?

Pas si sûr, étant donné l’engouement des gouvernements successifs sous l’ère Hollande et désormais sous celle de Macron pour la négociation collective au sein des entreprises. Si la future loi travail intronise l’inversion de la hiérarchie des normes alors il est fort à parier que la négociation des accords collectifs du travail battra son plein. C’est la porte ouverte vers la primauté des accords d’entreprise !  Les entreprises dépourvues de délégués syndicaux pourront toujours mandater, mais le résultat ne sera jamais aussi probant. Une négociation implique de pouvoir se faire avec des personnes engagées, formées et préparées à cet exercice parfois périlleux.

C’est peut-être cela aussi le vrai visage des délégués syndicaux !

Auteur de l'article: Isabelle Vidal-Leon

Juriste en droit privé et droit social, Isabelle exerce en indépendante depuis quelques années le métier de conseil aux entreprises et de formatrice en droit social. Elle travaille également depuis quelques années comme consultante auprès des particuliers pour le traitement de litiges divers liés au travail.