Le droit à la déconnexion des salariés
Le 17 avril 2017Le droit à la déconnexion des salariés s’est invité dans les entreprises, le 1er janvier 2017, date d’entrée en vigueur de la loi Travail. Une initiative du législateur qu’il convient de saluer. En effet, si les nouvelles technologies offrent un gain de temps considérable en matière de communication dans l’entreprise, elles peuvent également se révéler addictives et envahissantes.
Salariés, il est donc l’heure de vous brancher sur le droit à la déconnexion !
Droit à la déconnexion des salariés : quèsaco ?
Curieusement, la loi Travail n’a pas jugé utile de définir le droit à la déconnexion des salariés.Quant à la jurisprudence, elle n’a pas encore eu l’occasion de s’en mêler. On peut cependant se référer aux objectifs affichés par le législateur : assurer l’effectivité des repos et congé, ainsi que l’équilibre entre vies professionnelle et personnelle du salarié. Ce droit pourrait alors être défini comme l’action permettant de se couper, hors temps de travail, de tout ce qui constitue un lien avec l’activité professionnelle. Il s’agit en premier lieu, voire exclusivement, des « outils numériques » directement visés par le texte (article L2242-8 du code du travail).
L’idée est donc de donner aux salariés les moyens de se déconnecter du travail, en les laissant libres de les utiliser ou non. Cela correspond bien à l’idée moderne de l’entreprise libérée, offrant à ses collaborateurs davantage d’autonomie dans l’organisation de leur temps de travail. Reste que l’employeur demeure tenu d’une obligation de sécurité à l’égard du personnel et sera tenu d’intervenir en cas d’abus manifeste.
Salariés et entreprises concernées
Le code du travail n’aborde le droit à la déconnexion des salariés qu’à travers deux domaines bien particuliers. Le premier est celui de la négociation annuelle obligatoire sur la qualité de vie au travail. Le second correspond à la réglementation des conventions de forfait en jours. Cela n’est pas dépourvu de logique. L’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle s’inscrit effectivement dans un souci de préservation du bien-être des salariés. Quant aux conventions de forfaits en jours, il s’agit d’un mode particulier d’organisation du temps de travail réservé aux salariés les plus autonomes. Leur durée de travail n’étant plus comptabilisée en heures hebdomadaires, mais en nombre de jours sur l’année, ceux-ci sont particulièrement exposés aux risques de surmenage.
Pour autant, tous les salariés ne sont pas soumis au mécanisme du forfait en jours.
De la même façon, toutes les entreprises ne sont pas visées par la négociation annuelle sur la qualité de vie au travail ! N’y sont en effet obligées que les entreprises comptant en leur sein un ou plusieurs syndicats représentatifs ainsi que, pour les entreprises de moins de cinquante salariés, des délégués du personnel. Cela conduit à exclure d’office les entreprises comptant moins de onze salariés, seuil minimum obligeant à mettre en place des représentants du personnel. Cette restriction du champ d’application du droit à la déconnexion des salariés est regrettable. Le risque de saturation digitale n’est en effet pas le seul apanage des grosses boites. Prenons l’exemple des start-ups. Ces entreprises de tailles réduites attendent généralement de leurs collaborateurs un investissement important.
On peut comprendre que le législateur ait souhaité éviter d’alourdir davantage les obligations des « petits » employeurs.
Dans ce cas, il aurait certainement été plus judicieux de consacrer un droit général et absolu à la déconnexion pour tous les salariés, en limitant les obligations particulières aux entreprises de tailles plus conséquentes.
Support du droit à la déconnexion des salariés
Le droit à la déconnexion des salariés peut connaître trois supports différents : accord collectif, charte ou information du personnel par tout moyen. En principe, la négociation annuelle sur la qualité de vie au travail aboutira à un accord d’entreprise. L’obligation de l’employeur se limite toutefois à engager des négociations. On ne peut en effet le forcer, pas plus que les représentants du personnel, à signer un accord n’emportant pas son plein consentement.
Celle-ci est élaborée par la direction puis soumise pour simple avis aux représentants du personnel (article L2242-8 du code du travail). Par ailleurs, l’accord collectif permettant le recours aux forfaits jours doit en principe préciser les modalités d’exercice du droit à la déconnexion des salariés. À défaut, celles-ci sont fixées par l’employeur qui en informe les salariés concernés (articles L3121-64 et L3121-65). Cette information peut se faire par n’importe quel moyen. On conseillera toutefois, par souci de cohérence, de ne pas avoir recours au mail ! Attention : l’entreprise reste tenue de ces obligations vis-à-vis des forfaits jours même si elle est déjà couverte par un accord ou une charte.
La loi n’a pas prévu de sanction pour l’entreprise qui ne sera pas mise en conformité.
Notamment, on peut se demander si la convention de forfait jour risquera d’être annulée en l’absence de dispositions sur la déconnexion. On attendra donc la jurisprudence qui aura sans aucun doute l’occasion de se prononcer sur le sujet…
Le contenu du droit à la déconnexion des salariés
C’est ici que les choses se compliquent ! En effet, le contenu de ce droit diffère en fonction du contenant. On retrouve là le légendaire souci de clarté et de simplification du législateur. Après tout, pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? L’accord d’entreprise devra ainsi permettre de réguler l’usage des outils numériques dans l’entreprise. La charte quant à elle devra mettre en œuvre des formations et actions de sensibilisation à une utilisation raisonnée et modérée des outils numériques. Seul dénominateur commun, accord, charte et le dispositif de forfaits jours devront prévoir les modalités d’exercice du droit à la déconnexion du salarié. La loi ne définit pas ces différentes mesures.
Il faudra en conséquence s’en remettre à l’imagination des entreprises et des représentants du personnel.
L’idéal serait de procéder préalablement à une enquête interne à l’entreprise sur l’usage des outils numériques. Un suivi volumétrique des communications digitales serait particulièrement utile, car il permettrait d’identifier les services ou postes les plus exposés au problème de la surconnexion. Au titre des dispositifs de régulation des outils numériques dans l’entreprise, il s’agit de mettre en place des garde-fous et des règles de bon usage des ressources digitales. Par exemple, paramétrer les boîtes de messagerie lors du départ en vacances afin qu’un message d’absence soit automatiquement envoyé à l’émetteur avec renvoi vers un autre interlocuteur. Ou encore, prévoir l’ouverture d’une fenêtre pop-up avertissant le salarié en cas d’envoi d’un email tardif.
Il peut également s’agir d’une sensibilisation aux bonnes pratiques favorisant la déconnexion comme l’usage modéré du courrier électronique pour éviter la saturation des messageries. Les cadres et le personnel de direction sont ici directement visés par la loi comme public privilégié de ces mesures. Tout peut être imaginé en la matière. Il est ainsi possible de prévoir des plages de déconnexion en dehors des horaires de travail durant lesquels le collaborateur ne pourra se voir reprocher, sauf urgence, de ne pas être joignable. L’idéal est de prévoir une durée de onze heures, celle-ci correspondant au temps de repos quotidien obligatoire. Autre exemple, la possibilité de ne pas emporter avec soi les outils numériques fournis par l’entreprise au moment du départ en congé. Il appartient de facto à tous les acteurs de faire preuve d’inventivité et de pragmatisme.
Seule l’adoption de mesures adaptées et intelligentes permettra en effet de faire du droit à la déconnexion un facteur d’épanouissement de bien-être au travail. La responsabilité reposera ensuite sur les collaborateurs qui ne devront pas hésiter à user de leur droit, sans culpabiliser.
Alors, qu’attendez-vous pour oser le droit à la déconnexion ?