Insulter un salarié de PD n’est pas grave
Le 8 avril 2016Ouf, j’ai cru un court instant que « pédé » pouvait être un « gros-mot-phobe ». Heureusement que le Conseil de Prud’hommes de Paris (CPH) est venu secourir l’homme intellectuellement désœuvré que je suis. Le CPH en envoyant ce message, cherchait sans nul doute à rassurer les homophobes à l’image d’une affaire analogue qui s’était déroulée en 1994 (arrêt de la Cour d’Appel de Versailles) ; insulter un salarié de PD n’est pas grave, enfin plus en 2016, il s'agirait juste d'une simple injure… Puis, il est vrai qu’envoyer un SMS (même indirectement) pour un responsable d’un salon de coiffure pour se plaindre d’un soi-disant salarié inefficace (en période d’essai de surcroit) en le désignant comme une tarlouze, une fiotte, une lopette…, semble ici, révéler une forme normale de management. Oui, il existe aussi des synonymes de « PD » et il est fort probable que ces derniers soient finalement considérés dans l’avenir comme des mots respectables dans ce nouveau langage courant et décomplexé ! C’est vrai, il s’agit juste d’une façon très aimable quoique peu injurieuse de désigner une personne en fonction de son orientation sexuelle. C’est plus court en outre de dire pédé que pédéraste.
Selon le Larousse, rappelons-nous que ce terme est employé en réalité pour désigner un homme homosexuel comme étant également un pédophile. L’étymologie de « PD » conduit donc à un amalgame outrageant.
Insulter un salarié de PD, de nègre, de pute… est-ce normal ?
Si dans la coiffure, insulter un salarié de PD constitue une injure sans gravité (c'est-à-dire sans caractère homophobe) tout indiqué dans le vocabulaire courant, peut-on dire que « pute » pour désigner une salariée s’exerçant dans le mannequinat serait tout autant indiqué (c'est-à-dire sans lien avec le sexisme ou la misogynie)? À quel moment, peut-on employer le mot « nègre ou négro » sans que cela ne soit apparenté à du racisme ? Je pose ouvertement la question à la ministre des Familles, Mme Laurence Rossignol, qui évoqua les « nègres favorables à l’esclavage » dans une déclaration dont elle ne put ensuite (ouf, un éclair de lucidité) qu’en regretter le contenu. Les expressions de « sale arabe, sale juif, sale con… » devraient aussi trouver leur place dans le Panthéon d’une justice visiblement en perte de vitesse. Dans la même veine, toujours le CPH de Paris, a débouté récemment un salarié travaillant dans le monde feutré de la parfumerie invoquant entre autres choses, qu’être désigné comme un « cégétiste » par son employeur durant un entretien professionnel, liant ce mot au fait pour le salarié de contester la médiocrité de ses conditions de travail, n’est en soi pas une « insulte ». L’utilisation qui fut faite de ce terme à l’endroit de ce salarié non syndiqué et encore moins militant de la CGT, ne laisse pourtant présager aucun doute quant à la volonté à ce moment précis pour l’employeur de l’humilier et de le rabaisser.
Au rythme où vont les choses, il faut évidemment se mettre à la page. Les insultes en raison de sa pratique religieuse, de son engagement syndical, de sa couleur de peau, de son sexe, de son âge, de son handicap, seraient-elles en passe de devenir légitimes, banalisées selon leur contexte, lorsqu’elles sont employées par les patrons ?
Peut-être suis-je sot, mais il me semblait que la loi protégeait les salariés pouvant être éconduits en raison de leurs mœurs, de leur apparence physique… (article L1132-1 du code du travail). Faut croire qu’il y aurait des interprétations possibles.
Insulter son patron est grave, être insulté par celui-ci, moins…
La patronne de ce salon de coiffure insulte son salarié de PD et le CPH de Paris considère qu’il ne s’agit pas d’une discrimination, mais d’une injure coutumière pour désigner des coiffeurs dont la plupart dans ce milieu sont dixit « homosexuels ».
Existe-t-il alors des termes injurieux utilisables par les salariés afin de désigner leurs patrons sans être exposé à une sanction disciplinaire ?
Je ne sais pas, est-ce que dire de son employeur par exemple « je ne le sens pas cet enculé » pourrait être considéré comme « normal » si je précise qu’il s’agit ici de désigner un employeur qui hurle à longueur de journée sur ses employés ? Trêve de plaisanteries malsaines, il n’est pas acceptable d’être insulté par son patron de même qu’un salarié doit respecter les personnes avec lesquelles il travaille. Insulter un salarié de PD même par SMS peu importe le milieu professionnel en question est inacceptable.
La justice n’a jamais été tendre et encore moins aussi compréhensive à l’égard de salariés qui avaient pu proférer des insultes à l'encontre de leur supérieur ; de telles conduites selon de nombreux arrêts justifient le licenciement pour faute grave des salariés (Cass. Soc. 22 janvier 2014, n°12-26.206). Un salarié ne fut pas davantage épargné dans une affaire où il a été démontré, qu’il avait tenu des propos désobligeants à l’encontre de ses collègues. Il a été ainsi licencié pour ce même motif, ne laissant donc planer aucun doute quant au caractère extrêmement préjudiciable de tels comportements au sein d’une entreprise (Cass. Soc. 2 juillet 2003, n° 01-43.786). Dans un précédent article sur ce blog (politesse et savoir-vivre en entreprise), j’avais déjà eu l’occasion de m’exprimer sur ces attitudes irrespectueuses conduisant des salariés à s’insulter.
Il aurait été avisé que le CPH de Paris se nourrisse de ces arrêts avant de fonder une telle décision dont l’explication fournie ne tient pas la route ; pour un employeur, insulter un salarié de PD, quel que soit le contexte, c’est une insulte grave qui mérite d’être aussi solennellement sanctionnée comme le sont les salariés injurieux d’une manière générale envers leur employeur et collègues !
Relations entre les salariés et l’employeur, attention aux dérives
Le monde du travail deviendrait-il à ce point insensible face aux incivilités, aux joutes verbales ? Il semble en effet qu’un certain vocabulaire peu châtié (sale con, pauvre meuf, gros porc, vieux débris, travail d’arabe, face de riz…) soit devenu monnaie courante dans certains milieux professionnels. Peut-être serait-il temps de réapprendre à travailler dans de meilleures conditions ?
Les employeurs ne doivent jamais laisser passer de tels propos et évidemment, ils ne doivent pas eux-mêmes les utiliser. Il faut rapidement recadrer, expliquer et sommer de se parler autrement.
Les dérives verbales provoquent souvent des traumatismes pas toujours immédiatement visibles chez les personnes qui en sont les victimes. Être insulté n’est pas plaisant, personne ne peut dire le contraire. N’oublions jamais que la liberté d’expression oblige à des limites interdisant l’usage de propos diffamatoires, injurieux, excessifs… (Cass. Soc. 21 avril 2010, n°09-40.848). La subordination contractuelle d’un salarié ne peut jamais justifier le fait qu’un employeur se comporte mal envers ce dernier. Des agissements vexants, coutumièrement insultants, voire dégradants, peuvent être jugés comme des actes d’une certaine gravité entrant dans le champ du harcèlement moral. Ainsi, un supérieur hiérarchique fut condamné sévèrement pour avoir adopté un management avilissant qui se manifestait auprès des membres de son équipe par de nombreux propos grossiers et injurieux (Cass. Soc. 29 septembre 2011, n°10-12.722).
Rappelons que l’employeur a légalement une obligation de sécurité de résultat à l’égard du personnel de l’entreprise. Cela l’oblige à prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les salariés d’atteintes à leur intégrité qu’elle soit physique ou mentale (Cass. Soc. 25 novembre 2015, n°14-24.444). Cette obligation s’applique assurément dans le cadre d’écarts de langage, fussent-ils usités au sein de l’entreprise. L’employeur peut de facto, inscrire dans son ADN managérial, une charte de bonne conduite, afin de marquer son intérêt auprès des salariés, quant à l’impériosité d’adopter un langage approprié au travail.
Une telle charte peut conduire les salariés à mesurer l’impact des dérives verbales tout en apprenant à ne plus banaliser certaines insultes en rapport tantôt avec les orientations sexuelles, religieuses, syndicales de leurs collègues, tantôt en rapport avec les conditions de vie des salariés.