Succès contestable des plateformes d’avantages auprès des CSE : en cause, un financement douteux et une satisfaction en demi-teinte
Le 7 avril 2024Vous les connaissez sans doute par leurs désignations commerciales ; « Club Employés, Glady, Swizy, Comiteo by Bimpli, Swile, HelloCSE, HappyPal, Edenred Solutions CSE (ex ProwebCE), Primoloisirs, Place des salariés, Reducbox… », 60% des CSE en sont friands (sondage OpinionWay pour Ingenium Consultants).
3 CSE sur 5 ont souscrit à une plateforme d’avantages…
Quelle peut en être la raison ?
La facilité de proposer des réductions, remises sur des milliers de références en lien avec les loisirs et les voyages (entre autres). L’objectif est de visibiliser les activités sociales du CSE au travers d’une offre séduisante et digitale, sans effort et sans contrainte de temps. Si l’idée n’est pas neuve, elle pose toutefois une question : comment se finance une telle prestation de service ?
Le CSE devrait mécaniquement mobiliser le budget social, unique source de financement légalement prévue pour ce type d’achat.
Le dilemme éthique du financement des avantages sociaux
Pourtant, dans la pratique, 81% des CSE financent cette prestation avec leur budget de fonctionnement : en partie pour un tiers, en totalité pour la moitié.
Est-ce par méconnaissance des règles élémentaires en la matière ?
Pas toujours. En effet, notre étude démontre que 52% des souscripteurs sont parfaitement avisés quant aux conditions de financement de cette prestation. Toutefois, on remarque que la moitié d’entre eux préfère utiliser leur budget de fonctionnement en connaissance de cause.
Des méthodes commerciales controversées à la racine du problème ?
Les acteurs de ce marché, commercialisant ces plateformes d’avantages, ne reculent devant aucun argument parfois fallacieux pour séduire et vendre leurs prestations aux CSE. En effet, 64% des souscripteurs ont déjà été sollicités pour financer ce service avec leur budget de fonctionnement. Selon les cas, ces méthodes critiquables varient :
– 45% des CSE sont encouragés à détourner leur budget de fonctionnement via un échange oral au cours duquel, le commercial prétend que cela est légal/possible
– 21% des CSE sont détenteurs d’un écrit par lequel, le commercial expliquerait le bien-fondé du financement de leurs services avec le budget de fonctionnement
– 11% des CSE déclarent et c’est sans nul doute la forme la plus douteuse, avoir reçu des commerciaux, un écrit attestant la légalité de cette pratique. Rappelons que le faux et l’usage de faux constituent un délit pénal punissable de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende (article 441-1 du Code pénal).
Une affaire avait pourtant déjà défrayé la chronique…
Le 9 février 2021, le prestataire ALTER CE propriétaire de la marque COMITEO (rachetée par Swile à ce jour) a été condamné en Appel à Versailles pour avoir délibérément menti à la trésorière d’un CSE. Les juges ont qualifié la manœuvre comme dolosive, car elle a consisté à faire croire à l’élue qu’elle pouvait engager le budget de fonctionnement pour financer la plateforme d’avantages vendue par ce fournisseur. Pour les juges, cela n’était pas possible, cette offre relevant des activités sociales, elle devait être financée par le budget social. La démarche commerciale a donc été logiquement frappée de nullité.
Mais plusieurs années plus tard, l’hécatombe continue et persiste. Sans doute, en partie, grâce (ou à cause) de CSE plutôt complaisants et complices de ces mauvaises pratiques.
Une satisfaction en demi-teinte interroge en bout de course
Tous ces risques pour en finalité ne retirer que peu de satisfaction pour 33% des souscripteurs. 43% des CSE ayant fait l’expérience d’une plateforme d’avantages ne sont pas ou pas du tout satisfaits d’un tel investissement. Si une part notable (46%) est tout de même prête à financer cette offre à l’appui de leur budget social, plus de la moitié (54%) ne le souhaite pas. Cela en dit long sur le réel intérêt porté pour ces plateformes par ceux qui y consentent en détournant tout ou partie du budget de fonctionnement.
Pour que ne survivent pas des pratiques destructrices, il est urgent de se remobiliser
Siphonner et dilapider le budget de fonctionnement, c’est participer à l’affaiblissement des élus du CSE. En 2019, j’avais déjà mis en garde contre ce phénomène ; j’ai trop été (et je le suis encore aujourd’hui) témoin du prix payé par les CSE in fine. À cette même période, une consœur s’était penchée sur les pratiques commerciales trompeuses dont sont si souvent frappés les CSE.
Pour quel réel bénéfice en définitive ?
Pour profiter de remises assez inégales situées entre 3% et 20% en moyenne, les CSE doivent financer une kyrielle de produits annexes dont les raisons sont parfois obscures, rendant l’opération moins rentable ou équilibrée qu’elle n’y paraît au départ. Sans doute qu’acheter des remises constitue une mode, à laquelle, j’avoue ne pas m’habituer. Une remise, de mon point de vue, se consent, elle ne monnaye pas.
Avec beaucoup moins de budget de fonctionnement, difficile de se professionnaliser
Salariés, fournisseurs peu scrupuleux, employeurs cyniques, élus peu ou pas avertis…, réduisent trop souvent les CSE au domaine des activités sociales comme incarnant leur seule contribution. Pourtant, il n’en est rien. Les élus sont attendus sur bien des terrains où leur participation active est cruciale pour la défense des droits des salariés. Pour y parvenir, il ne faut pas mégoter sur les efforts et les moyens à mobiliser. Ainsi, les élus auront forcément besoin de formations, d’assistance juridique, d’ouvrages, d’équipements, de recourir à des expertises, de supports de communication…
Et c’est justement, ce type de prestations qui pèsent sur le budget de fonctionnement.
Un élu plus avisé, professionnel, sera plus en confiance pour déjouer les difficultés qui se dresseront sur son chemin. À l’inverse, l’impuissance de certains élus, s’explique par la méconnaissance de leur rôle, leur obstination à ne pas se faire épauler et leur incapacité à agréger autour d’eux suffisamment de forces vives pour peser dans les débats.
Un CSE menacé de disparition partielle poindrait son nez à coups de simplification
Qui n’a pas entendu parler en février dernier, du « fameux » rapport sur la simplification ? Il nourrirait la possibilité que les CSE de moins 50 salariés soient dissous, tandis que d’autres verraient leurs droits et moyens abaissés à néant. En cas de confirmation, cela se traduira comme une perte fracassante pour la démocratie sociale. Seuls les CSE de 250 salariés et plus continueront de jouir de leur qualité de personne morale. Pour les autres, plus d’autonomie, plus d’indépendance financière, moins de prérogatives et donc moins d’occasions de représenter au mieux de leurs intérêts les salariés. Il en sera aussi fini du détournement du budget de fonctionnement à la solde de ces plateformes d’avantages, ces CSE devront y renoncer.
La nostalgie d’un temps ancien écrasé par les reculs législatifs, broyés jusqu’à leur anéantissement.
Une mort lente des capacités de défendre les droits des salariés est en marche
L’histoire récente nous enseigne déjà les pertes qu’enregistrent les CSE depuis 2017. Moins de candidats (es) gageant plus de carences électorales, malgré l’abaissement du nombre de représentants du personnel. Le carnage repose également sur une baisse des heures de délégation, une diminution des budgets amputés de charges jusqu’alors supportées par le chef d’entreprise, un rétrécissement du nombre de réunions… Tout cela, c’est sans compter, un durcissement du dialogue social qui charrie avec lui, un flot de faits constitutifs du délit d’entrave : BDESE inexistante ou insuffisante, ordres du jour signés unilatéralement, consultations intervenant après une prise de décision, l’exercice de pressions sur les élus en les assommant professionnellement d’une charge de travail difficile à supporter…
Et pendant ce temps-là, la préoccupation de nombreux CSE, prêts à vendre leur probité au plus offrant, c’est proposer une plateforme d’avantages aux salariés.
Nous sommes loin d’une réponse satisfaisante aux défis qui attendent nos élus. Il est impératif que les CSE mesurent l’urgence de reprendre du poil de la bête en refusant leur mise à mort dans l’indifférence la plus mortifère qu’il soit. Une seule solution : se professionnaliser. C’est le prix à payer pour résister à cet assaut perpétré à coups de décrets exterminateurs. Le travailleur a plus que jamais le droit au respect de son implication professionnelle.
Une chose possible qu’à la condition de pouvoir compter sur des élus de CSE formés à résister et à concourir à l’amélioration de leurs conditions de travail.
« Sondage OpinionWay pour Ingenium Consultants »
Étude réalisée auprès d’un échantillon de 202 élus de CSE dans des entreprises de 50 salariés et plus. Les interviews ont été réalisées du 5 au 19 février 2024.